22.09.2023

Fête patronale de Saint-Maurice

 

 

C'est une joie de faire mémoire de saint Maurice et de ses compagnons martyrs. Revenir aux origines de la naissance de l'Église dans nos régions. Église, comme souvent, fondée sur le sang des martyrs.

Une poignée de chrétiens, arrivant avec les légions romaines, ont choisi, au nom du Christ, de vivre autrement, selon des critères différents du monde qui les entourait. Convaincus que le Christ était mort et ressuscité, par leur manière de vivre et l'audace de leur parole, ils ont rejoint une attente profonde du cœur de leurs contemporains. Ils ont vécu et annoncé la nouveauté de l'Évangile dans un monde qui ne connaissait pas le Christ et souvent lui était hostile. Ils ont préféré mourir plutôt que d'entrer dans un compromis et de renier leur foi.

Si nous sommes là aujourd'hui, c'est pour une part à cause d'eux. Je pense aussi à tous ceux qui les ont suivis au cours de l'Histoire, qui ont traversé des périodes heureuses ou douloureuses, parfois désastreuses. Ils nous ont transmis la lumière de l'Évangile.

Tous les fidèles du Christ, tous les moines et moniales, les missionnaires, les éducateurs, des pères et mères de famille, connus ou inconnus, qui ont donné leur vie par amour du Christ et de leurs frères et sœurs.

Que leur présence auprès de nous, leur exemple, nous conduise à renouveler notre attachement au Christ et notre audace missionnaire. C'est d’eux que nous parle la seconde lecture tirée du Livre de l’Apocalypse.

Célébrer la mémoire des martyrs, c'est se plonger dans le Mystère de l'Église.

En ce jour de fête, j'éprouve le besoin de vous parler de l'Église. Les structures ecclésiales, nos organisations, qu'il faut sans cesse mieux coordonner et adapter à des besoins nouveaux, ne sont pas et ne doivent pas, être l'essentiel. Nous ne sommes pas des fonctionnaires du religieux. La finalité de l'Église n'est pas de s’occuper, comme n'importe quelle association terrestre, de se maintenir en vie pour elle-même. L'Église est là pour permettre à chacun d'entre nous et à tous d'avoir accès à la vie éternelle. Alors ne nous trompons pas d'objectif.

L'Église est l'Église de Dieu, l'Église de Jésus. Il est bon de ne pas l'oublier.

Souvenez-vous, à la fin de l'Évangile de saint Jean, Jésus ressuscite et dit à Pierre : « Sois le berger de mon troupeau », pas le berger de son troupeau à lui. C'est l'Église de Jésus, c’est lui qui l'a voulue et fondée. Nous pouvons être tentés, même sans nous en apercevoir, de remplacer son Église par notre Église. Donc, par de nombreuses Églises, chacun la sienne. De cette manière apparaît une Église de petits propriétaires, qui parlent de « notre Église », que chacun considère comme son œuvre et sa propriété, susceptible d'être remodelée ou conservée, à sa guise.

Une Église qui ne se reçoit pas de Dieu n'a aucun sens.

Jésus a voulu l'Église, il l'a fondée et il l’a confiée aux pauvres pécheurs que nous sommes. Il l’a fondée sur les apôtres : Pierre, qui devra faire l'expérience de son incapacité à être fidèle. Jacques et Jean, qui veulent les premières places, poussés par leur mère.

Mathieu, un collaborateur avec les Romains. Simon le zélote, un révolutionnaire. Sans parler de Judas, trop attaché à l'argent et qui va livrer Jésus.

Il choisit, comme premier témoin de la résurrection, Marie-Madeleine, une ancienne prostituée.

Quelle humilité de Dieu. Quel mystère. Dieu a voulu rendre le Salut, réalisé dans la mort et la résurrection du Christ, accessible à l'humanité à travers des hommes et des femmes, des institutions, tellement limités et pécheurs. Ces dernières années, nous en avons douloureusement pris la mesure, et encore aujourd’hui.

Nous vivons des périodes particulièrement difficiles et éprouvantes dans l'Église. Les lumières faites sur les abus sexuels et de pouvoir nous bouleversent tous. Mais il y a aussi la situation du monde, traversé par la violence. Tous, à un moment ou à un autre, nous sommes confrontés à des épreuves qui provoquent des crises. Ce sont des chemins par lesquels le Seigneur nous conduit pour aller plus loin, ou descendre plus profondément, dans son Amour.

À travers ces moments douloureux où nous sommes déconcertés par les événements, quand les choses ne se passent pas comme on l'avait imaginé, nous découvrons nos limites et nos péchés, et aussi les limites et les péchés des autres. Tout cela peut nous ébranler.

J'ose penser et croire que c'est un temps favorable, un chemin de purification et de conversion, qui oblige à revenir à l'exigence évangélique.

« Nous ne sommes pas seuls, nous n'avons pas à avoir peur de descendre dans les nuits obscures des difficultés et des souffrances. Confiants que le Seigneur nous ouvrira des portes dont nous ne connaissons pas encore l’existence. Nous nous sentons inaptes à la tâche et appelés à l'accomplir. Le Seigneur nous appelle à le suivre. » (Pape François, Un temps pour changer, Flammarion 2020, p. 37)

J'ai en mémoire les paroles de saint Paul : « La vérité vous rendra libres. » À condition que ce soit bien la vérité que nous cherchions et pas à régler nos comptes. Et aussi : « Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu. » Donc la question est de savoir si nous aimons Dieu (pas seulement nous-même).

L'Église n'est pas seulement le petit groupe d'hommes et de femmes décidés qui se réunissent pour démarrer une vie communautaire. Ce n'est pas non plus seulement le groupe de ceux qui se rassemblent le dimanche pour célébrer l’Eucharistie. Et encore moins un réseau de personnes qui pensent toutes la même chose. Elle est bien davantage que le pape, les évêques, les prêtres, les laïcs en mission, ou ceux qui s'investissent au service de nos organisations. Elle s'étend plus loin, elle franchit le seuil de la mort.

En font partie tous les saints. Abel, Abraham, tous les témoins de l'Ancien Testament, en passant par Marie, Mère de Dieu, saint Joseph, saint Maurice et ses compagnons. La multitude des saints, connus et inconnus, tous les anonymes dont Dieu seul connaît la foi.

« En font partie tous les hommes et les femmes de tous les temps, de tous les lieux, dont le cœur plein d'Espérance et d'Amour, se penche vers le Christ. » (Concile Vatican II) Cardinal Joseph Ratzinger ?

Ce ne sont pas les majorités occasionnelles, formées ici ou là dans l'Église, qui décident de son chemin et de son avenir. Ce sont eux, les saints, les martyrs, qui constituent la véritable majorité décisive, d'après laquelle nous nous orientons.

C’est à leur école que nous voulons nous mettre.

On parle parfois de réforme de l'Église, même de réparation. En réalité, il ne suffit pas de renouveler les méthodes pastorales ou de changer les modes de gouvernement ou d'organisation. Il faut susciter un nouvel élan de sainteté.

Le programme c’est de vivre de l'Évangile, de se centrer sur le Christ lui-même, qu'il faut connaître, aimer et imiter, pour vivre de la vie trinitaire, pour nous convertir, pour transformer le monde.

Nous célébrons la fête de saint Maurice et ses compagnons martyrs. Martyr veut dire témoin. Tous, nous avons la mission au nom de notre baptême, d'être témoins du Christ dans le monde. Donc, la question du martyre nous concerne tous. Jusqu'à quel point sommes-nous chrétiens ? Est-ce que notre foi est un simple vernis culturel ou un simple art de vivre ?

Pour reprendre les propos du pape Jean-Paul II : « Vous le savez, être chrétien, c'est vivre avec le Christ, c'est marcher avec lui. Être chrétien, ce n'est pas l'adhésion à des idées, à des valeurs ou à une éthique. C'est la rencontre et la relation avec Jésus, mort et ressuscité, qui nous révèle l'Amour du père. C'est se laisser transformer par la mort et la résurrection du Christ. »

Mais souvent, nous l'avons réduit à une partie de notre vie. Il y a notre famille, notre travail, notre réussite, notre maison, nos loisirs. Notre vie chrétienne vient en plus. Mais en réalité, ce n'est qu'une dimension de notre vie qui passe souvent après les autres. Je prierai si j'ai le temps, je viendrai à la messe s’il n'y a pas autre chose.

Il y a parfois en nous quelque chose de contradictoire. D'un côté nous voulons être avec Jésus, d'un autre côté nous avons peur des conséquences que cela entraîne. Alors on ne bouge pas.

À propos du martyre, permettez-moi de vous citer le Concile Vatican II sur ce sujet : « Jésus, le Fils de Dieu, ayant manifesté sa charité en donnant sa vie pour nous, personne ne peut aimer davantage qu'en donnant sa vie pour lui et pour ses frères. À ce témoignage suprême d'Amour rendu devant tous et surtout devant les persécuteurs, quelques-uns, parmi les chrétiens, ont été appelés depuis les premières heures et d'autres seront appelés sans cesse. C'est pourquoi le martyre dans lequel le disciple est assimilé à son maître, acceptant librement la mort pour le salut du monde, et dans lequel il devient semblable à lui dans l'effusion de son sang, est considéré par l'Église comme une grâce éminente et la preuve suprême de la charité. Si cela n'est donné qu'un un petit nombre, tous cependant doivent être prêts à confesser le Christ devant les hommes et à le suivre sur le chemin de la croix, au milieu des persécutions qui ne manqueront jamais à l'Église. » (Lumen Gentium, 42)

Je ne vous cite pas ce texte pour vous faire peur. Mais être chrétien, suivre Jésus, aujourd'hui comme hier, c’est être appelé à aller à contre-courant. Il ne nous sera pas demandé de verser notre sang, en tout cas pas à tous, mais de garder la fidélité au Christ, la fidélité à vivre dans les situations quotidiennes. Vivre la pureté dans un monde érotisé, vivre la loyauté et la droiture dans un monde manipulateur, séducteur et menteur. Respecter la vie de l'Homme, de son début à sa fin naturelle, dans un monde confus qui n'a plus de définition claire de ce qu'est la personne humaine. Vivre la solidarité, l'accueil et l'échange dans un monde qui ne semble avoir que la logique du profit et de l'intérêt individuel.

La fête de ce jour est une invitation à vivre en chrétien dans un monde qui ne l'est pas. Nous sommes interrogés sur notre mode de présence dans le monde. Il nous faut apprendre à être libres.

Une lettre célèbre du deuxième siècle, la lettre à Diognète, dit : « Les chrétiens vivent dans le monde mais sont citoyens du ciel. » Nous vivons dans le monde, nous aimons le monde, mais selon des critères qui ne sont pas du monde, selon les Béatitudes.

Je vous invite à regarder le monde à partir de Dieu, alors qu'en général on le regarde à partir de nous-mêmes.

Enfin, pour conclure, dans l'Évangile, Jésus invite ses disciples à ne pas avoir peur de ceux qui peuvent tuer le corps, mais sans pouvoir tuer l'âme.

Vous le savez, beaucoup de nos contemporains ont peur - parfois nous-mêmes. Peur de l'avenir, peur de leurs voisins, peur de la fin du monde, peur du démon, peur de Dieu aussi, peur d’eux-mêmes. Il nous faut entendre Jésus qui nous dit « n'ayez pas peur. »

N'ayons pas peur de l'état du monde, n'ayons pas peur de ce que l'Homme peut produire et qui risque de se retourner contre lui. Jésus Sauveur demeure au cœur de l'Histoire de l'humanité. La puissance de la Croix du Christ et de sa résurrection est toujours plus forte que tout le mal dont l'Homme pourrait ou devrait avoir peur. Ce qui caractérise les chrétiens, c'est le fait qu'ils ont un avenir. Ils savent que leur vie ne se termine pas dans le néant. Nous sommes aimés et quel que soit ce qui peut nous arriver, nous sommes attendus par cet Amour.

La seule peur est de perdre son âme, c'est-à-dire, à cause de notre orgueil, de nous séparer de Dieu.

La question est de savoir en qui nous mettons notre assurance. En notre argent, en notre intelligence ou en Dieu ?

Mgr Yves Le Saux