15.02.2023

Fête de la Sainte Épine

Mes sœurs, mes frères,

« Voici l’homme » … Cette pauvre et seule réponse de Pilate, lors du jugement de Jésus, fait peur et mal au ventre. Qui est-il cet homme qu’il aurait voulu mieux connaître, mais qu’il n’a surtout pas pu comprendre ? Qui est-il cet homme qui ne ressemble plus à un homme, tant il est défiguré par les fausses accusations, les blasphèmes insolents et les coups barbares ? Pilate est désemparé… son cœur est-il partagé ? son esprit est-il brisé ? son être est-il affaibli ? On ne le saura jamais, sinon ce qu’il a pu en dire par ces deux mots anonymes et lâches : ‘Voici l’homme’.

Et qui sait… qui sait si derrière ces mots, ne se cachait pas, plus qu’un événement historique horrible, l’histoire pure et sereine d’un roi à l’apparence de sauveur ? ‘Voici l’homme’ ? … ne serait-ce pas, peut-être aussi, et particulièrement pour les générations d’après la résurrection de Jésus, une phrase de Dieu liée à son Fils ? Ne serait-ce pas Dieu le Père qui nous apprend ici la qualité du don de son Fils et, au-delà de l’aspect intolérable de la situation de Jésus à ce moment précis de sa vie, en lui, avec lui, nous révèle notre salut ?

Souvenons-nous de cette phrase de l’Épître aux Hébreux : « Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché ; alors, j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté, ainsi qu’il est écrit de moi dans le Livre » (He 10, 6-7). “Me voici”… ‘voici l’homme’… Oui, Jésus est né roi parmi les hommes, il est désigné comme le roi des Juifs et est en même temps renié dans cette fonction. Son ancêtre, le grand roi Salomon, fils de David, a siégé sur un “trône en bois du Liban” – c’est-à-dire en bois précieux et embaumant la gloire ; Jésus, lui, a été encloué sur un trône en bois de dérision, embaumant l’abandon. Le bois de cèdre fut changé en poutre, et sa noblesse en avanie. Voici Jésus, celui qui est né pour nous sauver, et ceci dans un ultime et unique sacrifice, le don de sa propre vie.

Et quand Jésus disait à ses disciples, au moment où il les réunit les uns après les autres : « Amen, amen, je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme » (Jn 1, 51), il est bien ce Fils devenu homme pour vivre au milieu d’eux. Il est cet homme envoyé de Dieu pour annoncer sa Parole et convertir les cœurs, afin qu’ils puissent atteindre à ce salut que Dieu veut pour toutes ses créatures. Jésus est donc l’homme qui est celui par qui le salut arrive, l’homme qui est notre Sauveur, et donc, à ce titre, fait roi de l’univers, afin que Dieu puisse établir définitivement son Royaume de paix et d’amour. Mais à quel prix ? Au prix de l’extrême désolation, de la raillerie, de la déréliction totale, puisque les Juifs avec l’aide de Pilate, perdu devant une situation qu’il ne maîtrisait pas, l’ont bien couronné roi, mais en ont fait un roi de dérision.

La mère de Salomon, elle, couronna son fils d’un diadème de pierres précieuses pour signifier la grandeur de sa majesté ; Jésus, lui, a été couronné d’épines pour signifier l’usurpation de sa souveraineté ; l’or du diadème fut changé en ronce et ses joyaux en blessures béantes. Or voici que le Psaume prié à l’instant disait : “tu mets sur sa tête une couronne d’or”… Oui, d’or, parce que précieuse est la vie qui donne la vraie Vie à l’humanité ; comme l’or ne s’altère pas, la vie héritée du salut n’aura ainsi pas de fin. Et déjà Jésus, au-delà du supplice que son corps endurait, avait dans le cœur son amour qu’il offrait au monde ; déjà il devait chérir celle qui deviendrait son Église, c’est-à-dire la construction et l’achèvement de l’œuvre qu’il avait commencée, et lui susurrer, au tréfonds de son cœur, ces paroles du Cantique des cantiques : “Que tu es belle ma bien-aimée, que tu es belle ! ”… comme une huitième parole qu’il aurait prononcée depuis le haut de la croix, mais dans le silence de son martyre !

Et puisque cette mort de Jésus, victorieuse du Mal et source de Vie, allait engendrer l’éternité, le psalmiste ne manqua dès lors pas d’exulter en disant encore : “Par ta victoire grandit ton éclat : tu le

revêts de splendeur et de gloire. Tu mets en lui ta bénédiction pour toujours : ta présence l’emplit de joie”. Le voici donc cet homme qui préserva l’humanité du péché afin de rejeter le Mal, lui enseignant le pardon comme accès au bien suprême, l’amour de Dieu pleinement vécu.

Ainsi soit-Il !

Mgr Jean Scarcella