02.01.2022

Épiphanie du Seigneur

Mes sœurs, mes frères,

Ils sont trois, nous dit la tradition… Le texte de Matthieu, lui, annonce : « voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem ». Trois ? Ou peut-être plus ? Mais le récit lui nous parle de trois présents… D’où viennent-ils exactement ces mages ? Qui les a envoyés ? Que représentent-ils ? Autant de questions qui font la part belle à l’image de ce récit, mais surtout ouvrent sur de forts symboles. Et là, avec la visite des mages à la crèche, nous sommes rendus au cœur du mystère de l’incarnation et nous avons besoin de symboles pour lire la force de cet événement.

La présence des mages auprès de l’enfant de Marie doit nous permettre de dépasser le fait premier de la naissance en notre chair de Dieu, pour découvrir en Jésus, ce Fils de Dieu et Dieu lui-même, la raison mystérieuse de sa naissance. Oui, la visite des mages va nous révéler, non pas le mystère de la divinité du Christ et de son incarnation par l’œuvre de l’Esprit vécu au soir de Noël, mais va maintenant nous permettre d’entrer dans ce mystère, en nous manifestant la raison de la venue de Dieu sur cette terre : Ils furent trois au pied de la croix du Golgotha, ils sont trois auprès du berceau de Bethléem. Cette venue au monde que les mages nous révèlent porte déjà en elle toute la force de la résurrection au ciel du même Enfant-Dieu et Fils de Dieu, Jésus.

Le prophète Isaïe a des mots magnifiques pour nous aider à prendre place, à notre tour dans ce récit. Il nous interpelle avec deux impératifs qui font partie du vocabulaire évangélique : “Debout” et “Resplendis”. Oui, frères et sœurs, il faut être debout pour pouvoir accueillir celui qui vient, comme Marie auprès de la croix accueillit debout la mort de celui qui allait vivre. Ensuite il faut être capable de resplendir de la joie que cette rencontre met en nos cœurs, comme celle du bon larron qui avait compris le sens de la vie éternelle. Se lever pour accueillir la joie, comme Jésus s’est élevé pour accueillir la vie. Et ainsi le prophète Isaïe résume-t-il cela quand il dit encore : “la gloire du Seigneur s’est levée sur toi”. Oui, dès le berceau de la crèche la gloire du Seigneur s’est levée sur l’humanité tout entière.

Et ces mages en sont les représentants, eux qui ont marché vers la lumière, la clarté de l’aurore, annoncée par l’étoile prête à s’évanouir sous l’éclat du soleil. Ces mages, venus pour nous révéler l’identité du Fils de Dieu, Lumière du monde, venaient donc de l’Orient, de l’Est, de la région du soleil levant, venant adorer précisément ce “Soleil levant qui vient nous visiter”, comme le dit la prière du Benedictus. Quelle image voir alors ici symboliquement, sinon celle de la lumière de Pâques, celle qui donne vie ? Comment mieux comprendre que la naissance de cet enfant le conduirait à la résurrection afin de sauver le monde ?

Dans sa Lettre aux Éphésiens lue à l’instant, saint Paul ne mâche pas ses mots quand il affirme péremptoirement qu’il a pu connaître ce mystère, mais non pas comme élucidant quelque chose qui reste mystérieux pour l’homme, mais par révélation divine. En ce sens il comprend cette révélation, cette épiphanie, quand il annonce explicitement que “toutes les nations sont associées au même héritage ” ; et dans le mot ‘héritage’, notre foi nous permet aujourd’hui de lire en filigrane celui de ‘salut’. Paul n’a pas compris le mystère, qui reste et restera insondable jusqu’au jour de la vision béatifique, mais il en a saisi le sens, c’est-à-dire notre chemin préparé par Jésus, à travers sa naissance, sa mort et sa résurrection, vers la vie éternelle. Voilà qui nous éclaire sur le sens de ce mystère qu’est la révélation de Jésus comme Fils de Dieu, et ce grâce à la visite des mages, qui représentent toutes les nations, et qui s’entendent dire de la part des scribes et des pharisiens répondant à l’interrogation du roi Hérode : “ […] Bethléem, […] de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël ”. L’Enfant de la crèche sera donc le Berger du peuple qui, pour le mener au bout de son pèlerinage terrestre, deviendra son Rédempteur. Roi sans armée sur cette terre, mais futur roi des armées de louange au ciel !

Nous relevions que le prophète Isaïe annonçait la manifestation de la gloire du Seigneur, alors qu’arrivés à la crèche les mages virent un enfant et sa mère… Isaïe enjoignit le peuple à se mettre debout, et voici que les mages tombent aux pieds de l’enfant… Isaïe déclara encore que se lèverait le Seigneur, et pourtant les mages se prosternent devant Jésus. Il n’y a rien ici de contradictoire, malgré ce que l’on pourrait penser ; en effet, la force de la prophétie d’Isaïe avait besoin de cette première attitude des mages, c’est-à-dire celle des peuples découvrant le mystère de la révélation du Fils de Dieu, son Épiphanie, pour pouvoir ensuite annoncer toute sa puissance. Avant le règne de la gloire proprement dite, il y a celui de l’humilité. Pour reconnaître Dieu je dois me faire petit, me prosterner devant lui et l’adorer, alors seulement sa gloire emplira mon âme et me mettra debout, resplendissant de ma foi, prêt à témoigner de merveilles de Dieu et à mettre en œuvre le mystère de la révélation par la pratique de l’Évangile. Les mages sont en cela pour nous, frères et sœurs, des maîtres dotés d’une grande pédagogie ! Et de cette pédagogie, nous en trouvons un signe dans l’offrande des trois cadeaux qu’ils présentent à Jésus : l’or, l’encens et la myrrhe.

Nous le savons, l’or est signe de royauté, l’encens veut manifester la divinité et la myrrhe annonce la mort. Mais au-delà de cette première approche symbolique de ces présents, il y a une signification beaucoup plus profonde. En effet, dans ces présents est enfouie toute l’histoire du salut de tous les temps, à la suite du Christ-modèle. L’or, insigne de la royauté, certes, et Jésus est roi – il l’a même affirmé devant Pilate –, mais il est roi dans son martyr. Avec Jésus, à la suite de Jésus et selon la volonté du Père, on ne devient pas roi par l’amas des richesses, mais par l’« éprouvement » de tout ce qui nous habite de meilleur et qui doit être offert, comme l’or est passé au feu du creuset. Jésus apparaît roi sous le visage de l’“Ecce homo” et nous montre que la gloire de la royauté en Dieu passe par le don de soi, qui peut aller jusqu’au martyre. Pour parler de l’encens il faut se référer à son symbole de vénération, à son parfum qui honore, à ses volutes ascensionnelles qui s’élèvent comme la prière. Et là, c’est la figure de Dieu qui est tout de suite manifestée ; c’est en tant que Dieu et Dieu lui-même que Jésus est vénéré, et donc que sa vie doit nous apparaître comme un lieu d’apprentissage de la prière pour nous ; le compagnonnage avec le Christ se manifeste dans la prière et l’adoration. Quant à la myrrhe, elle a peut-être une odeur de mort, mais surtout elle porte le parfum de la vie. Jésus nous a révélé le salut à travers sa naissance, sa mort et sa résurrection ; son enseignement et son exemple nous ouvrent à l’appel de l’éternité en lui auprès du Père.

Ainsi, frères et sœurs, certainement serons-nous capables d’offrir de tels présents à Jésus, par une vie donnée, une vie de prière et une vie de désir, mais nous le serons uniquement dans la mesure où nous pourrons accepter qu’elles nous mettent à la suite du Christ, lui qui est « le Chemin, la Vérité et la Vie ». C’est l’héritage dont parlait saint Paul, c’est la manifestation divine que les mages nous révèlent, et c’est le mystère qui nous fait aspirer à l’éternelle Vérité.


Ainsi soit-il !

Mgr Jean Scarcella